L'offensive du printemps 1918

L'offensive du printemps 1918, connue sous le nom de Kaiserschlacht, sera le dernier effort de l'armée allemande durant la guerre. Il s'agit, en fait, d'un coup de butoir planifié par le général Ludendorff sur une grande partie du front occidental. L'intention stratégique est simple: donner un bon coup sanglant sur le museau des Franco-Britanniques, avant que les réserves américaines fraichement débarquées ne montent en ligne. Le général Hindenburg croit qu'une telle offensive est un bon pari, car il n'est pas convaincu que l'aide militaire américaine arrivera à temps pour sauver les Alliés de l'Entente. Selon lui, que les États-Unis mettent sur pieds une grande armée et l'équiper convenablement, tout en continuant à envoyer à l'Entente les mêmes quantités de matériel de guerre, lui apparaît une chose impossible. Ainsi, l'offensive sera constituée de plusieurs petites opérations séparées (Michael, Georgette, Blucher-Yorck, Gneisenau) destinées à leurrer les forces alliées le plus loin possible de la Manche pendant que le gros des forces allemandes encercleraient les Britanniques et menaceraient les ports de la Manche, où les Brits et les Américains concentrent leur matériel. L'ennui avec ce plan, c'est qu'il est trop ambitieux et que sa planification exige une énergie qui va diluer ses priorités. Le Kaiserschlacht ne sera rien d'autre qu'un coup de dés, qu'un va-tout.

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Le plan d'attaque

Étant donné que le choix est d'attaquer sur le front occidental, Ludendorff doit faire face aux trois armées des alliés de l'Entente. Les Belges sont positionnés près de Ypres; les Britanniques s'égrainent jusqu'à l'Oise, et les Français tiennent le reste. Les premières divisions de l'US Army terminent leur entraînement en Lorraine avant leur transfert à l'Ouest. Hindenburg veut attaquer le plus tôt possible avant l'entrée en scène des unités américaines. Le découragement des alliés de la Triplice le pousse plus autant à agir pour obtenir la victoire qui re-cimenterait l'alliance des puissances centrales. L'excellent système ferroviaire allemand permet le transfert sans histoires des renforts allemands tant attendus. Plusieurs scénarios d'attaque ont été étudiés durant l'hiver 1917-18 et présentés au Haut-commandement au début de Mars 1918. Trois zones ont été retenues: la région de Verdun des deux côtés de la Meuse; les Flandres; et un secteur particulier de la Somme entre les plateaux de Cambrésis et du Verdandois. Le premier scénario autour de Verdun vise à infliger une lourde défaite aux Français afin d'obliger l'Angleterre à demander la paix. Mais Verdun est un terrain défavorable aux progressions rapides à cause des nombreuses collines derrières lesquelles s'agglutinent d'importantes réserves françaises. L'affaire prendrait du temps. Le Kronprinz le rejette, en ne retenant que comme une opération de couverture, pour éloigner les Français de la zone principale qui sera choisie.

Hindenburg passe en revue la 26ème Division d'infanterie à l'entraînement

En revanche, l'attaque des Flandres vers le Pas-de-Calais est plus attrayant, parce qu'elle offre des avantages stratégiques et psychologiques. Le kronprinz Rupprecht propose une attaque à partir de Lille vers Dunkerque et Calais (opération Georges). Si cette opération réussit, les Britanniques seront directement menacés chez eux. Le seul ennui vient de la nature détrempée du terrain souvent boueux et préalablement labourée par les obus (Paschendaele) interdit une telle attaque avant le début de Mai. Qui plus est, la zone des Flandres engrange l'essentiel des forces britanniques. Le troisième scénario présenté est celui d'une attaque sur la Somme, la ou les unités britanniques sont les plus dispersées et plus récemment déployées. Aux yeux des Allemands, les Brits demeurent l'adversaire principal à écraser. Le Parlement allemand estime que l'Angleterre sera mieux disposée à capituler si ses soldats se font moucher sévèrement et non pas son allié français. La décision est prise rapidement le 24 Janvier 1918: ce sera la Somme (opération Michael) avec ses trois attaques complémentaires qui auront pour but de couper et isoler les forces britanniques et françaises. L'attaque principale frappera l'aile droite du front britannique, ce qui lui permettra de débouler sur un terrain relativement favorable à une offensive. La raison étant que les plateaux de Cambrésis et de Vermandois offrent un sol solide en toute saison et permettent la création de saillants pour encercler l'ennemi. La reconnaissance photographique aérienne a montré que les défenses alliées sont très faibles et éparses. En bref, cogner sur les Brits pour commotionner psychologiquement les Français en leur évitant de monter en ligne: l'ennemi sera coupé en deux et définitivement battu. Pour réussir, il importe que les unités allemandes maintiennent les forces françaises et britanniques séparées.

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Le Kronprinz bavarde avec un brancardier Des officiers étudient une carte d'un secteur

La zone d'attaque de Ludendorff part de St-Quentin jusqu'à Arras, soit une distance de 70 km. En attaquant sur une distance aussi longue, les Allemands croient qu'il sera difficile aux Alliés de déterminer quel sera le lieux de l'attaque principale. Ludendorff veut être en mesure d'accentuer son action tantôt au nord ou au sud, tout en continuant à progresser sans arrêt. Obtenir un résultat victorieux sera sa seule mission. Le problème stratégique ne viendra qu'en second lieu. La conséquence est que son offensive doit être menée sous une forme d'une grande attaque surprise contre une partie du front occidental et non pas, comme l'entente l'a fait en 1915 et 1917, par des poussées simultanées contre deux points différents du front. Si la percée réussit, il faut que l'opération se transforme en une poussée – une ruée même – ou les forces allemandes subjugueront celles des Alliés dans une guerre de mouvement. Elle répond au principe de la concentration des moyens et au but de détruire l'ennemi. Mais cela peut être aussi une erreur. Ludendorff semble oublier qu'il est dangereux de metre tous ses oeufs dans un même panier ou plus précisément, de tout jouer avec une seule carte. Si l'attaque ne réussit pas, une nouvelle offensive pourrait être déclenchée dans les meilleurs délais sur une autre partie du front. Ludendorff oublie également qu'il n'a pas assez d'hommes pour espérer "anihiler" l'ennemi: l'Entente a 60 divisions de réserves alors que l'effectif total allemand en ligne ne se chiffre qu'à 35...

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Préparatifs

Les premiers préparatifs de l'offensive printannière de 1918 débutent à l'automne 1917. De Novembre 1917 à Mars 1918, plus de 50 divisions sont rransférées sur le front occidental, soit 500,000 soldats. Plusieurs divisions allemandes laissées sur le front oriental ont troquées leurs hommes jeunes pour des appelés âgés ou fatigués de la guerre. Il est assez étonnant de constater rétrospectivement que ces mouvements de troupes se sont déroulés dans le plus grand secret. Aux dires du GQG allié à Paris, l'armée allemande à l'Ouest n'était capable de de mener une guerre défensive. En première ligne, aucun changement suceptible de trahir une offensive n'est perceptible aux observateurs alliés. Les unités transférées du front oriental poursuivent leur entraînement en Allemagne et l'adaptation des soldats aux tactiques à utiliser sur le front occidental. Les unités sont équipées comme elles ne l'ont jamais été. Leur dotation de mitrailleuses est augmentée, de même que celle de Minenwerfer et d'avions d'attaque au sol. Beaucoup de fantassins sont également munis d'un embout leur permettant d'utiliser des grenades à fusil. Quant à l'artillerie, une préparation courte et violente bien assaissonnée de gaz toxiques dans le but de faire planquer les défenseurs des premières lignes dans leurs abris.

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Soldats à l'entraînement Les Halberstadt d'attaque au sol seront nombreux

Progressivement, les unités allemandes se concentrent à l'arrière du front en marchant, et uniquement la nuit pour éviter d'être repérées. Il en est de même pour l'artillerie et ses munitions. Quant aux avions, ils ne sont déployés qu'à la dernière minute pour éviter d'éveiller tout soupcon chez l'ennemi. Entrer-temps, le 13 Février au château de Homburg (photo en haut de page), Ludendorff expose son plan au maréchal Hindenburg et au Kaiser. Le trio est conscient qu'il s'agit de l'offensive la plus exigeante jamais entreprise par l'armée allemande. Ils misent sur une "victoire", alors que la réalité stratégique travaille à terme contre l'Allemagne.

Tactiques allemandes

Pour percer les défenses ennemies, l'artillerie allemande va pilonner brièvement mais cycliquement les PC de campagne, les positions d'artillerie, pour terminer par les pillboxes et tranchées. Cette tactique a été mise au point par le lt-colonel Bruchmuller et elle mise sur la supériorité allemande en pièces lourdes pour attaquer le dispositif ennemi sur toute l'étendue du front, sans dévoiler d'intentions précises aux Franco-Britanniques. Bruchmuller dispose de 6473 pièces d'artillerie et de 3500 mortiers. En ce qui concerne l'infanterie, Ludendorff met de côté les grandes vagues de fantassins lancées au casse-pipe pour privilégier les petits groupes de "soldats d'assaut", ou Stoßtrupps. Ces Sturmtruppen avaient donné de bons résultats durant la dernière phase de la bataille de Verdun.

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Obusier allemand en route vers le front au printemps 1918 Misons sur ce dernier coup de dés...

La tactique des Sturmtruppen est en grande partie inspirée de celle d'infiltration développée par le général Oskar von Hutier qui convenait parfaitement aux opérations de mouvement. Les Sturmtruppen à partir de la mi-1916 vont devenir indissociable des assauts allemands. En effet les Stoßtruppen n'ont pas leur pareil dans l'armée allemande pour percer les lignes adverses défendues par des mitrailleuses et des barbelés. Les Sturmtruppen étaient composé des meilleurs soldats, soit les plus aguerris et les plus en forme physiquement. En 1918, il existait 3 divisions de ces soldats d'élite. Ils occupent les PC ennemis, coupent les communications et réduisent les bastions ennemis les plus coriaces. Faute de chars, ces unités vont redonner la mobilité piétonne à une armée trop longtemps condanmée au statisme dans les tranchées.

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Appréhensions alliées

En Mars 1918, le général Pétain croit que les Allemands vont frapper simultanément les forces françaises et britanniques, en axant l'effort principal contre les effectifs britanniques déployés entre la Scarpe et l'Oise. Le général Haig n'est pas de cet avis, car il croit que les unités allemandes sont aussi essoufflées que les siennes; en conséquence, Haig ne croit pas que les Allemands ne puissent mener des opérations offensives. Cependant, beaucoup d'officiers britanniques ne partagent pas son point de vue, car ils ont repérés certains préparatifs ennemis qui leur semblent louches. Le Rensignement militaire croit que les Allemands préparent "quelque chose" au sud-ouest de Cambrai. Dans la 5ème Armée britannique, les postes défensifs étaient très rudimentaires. Il n'y avait pas assez de redoutes pour la garnir, ce qui sera une invitation pour les Sturmtruppen qui pénétreront le secteur. Il en est de même dans le secteur français. Les petites tranchées de tête sont à la fois éparpillées et peu défendues.

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Une position française peu défendue Britanniques faits prisonniers

Tactiques alliées

Les Franco-Britanniques sont sur la défensive. Pour contrer l'offensive qui se prépare, ils misent sur une défense en profondeur, en tranférant la plus grande partie de leurs dépôts de vivres et de munitions hors de la portée des canons allemands. Ils réduisent également le nombre de soldats en première ligne de manière à absorber le choc initial de l'attaque ennemie et de la contenir progressivement. En théorie, les Britanniques considèrent désormais les premières lignes comme la "foward zone" avec de petites équipes de mitrailleurs, de signaleurs et de tireurs d'élite. Derrière, on y retrouve la "battle line" riche en canons et mortiers, c'est-à-dire la zone mieux défendue pour endiguer et stopper l'ennemi. Et finalement, la "rear zone" ou les réserves mobiles sont prêtes à contre-attaquer un adversaire essouflé par ses efforts initiaux. L'ennui du dispositif de défense allié, c'est qu'il n'y avait pas assez de troupes pour garnir l'ensemble de la zone dite de bataille. Les Britanniques n'avaient que 28 divisions dont plusieurs manquaient de repos pour affronter 76 divisions de Ludendorff. Si les Britanniques devaient subir le gros d'une éventuelle attaque allemande, leur seul espoir de tenir le coup est de compter sur les renforts français et américains pour repousser l'ennemi.

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L'attaque principale

L'offensive débute le 21 Mars 1918 par un effort contre la 5ème Armée britannique du général Gough et l'aile droite de la 3ème Armée britannique du général Byng. C'est l'opération Michael. Le pilonnage en cascade a ciblé des objectifs sur 150 milles carrés. Ce fut le plus puissant barrage d'artillerie de toute la guerre: 1.1 million d'obus lancés en cinq heures. La sévérité du pilonnage est telle qu'elle coupe les communications britanniques et françaises. De nombreuses positions avancées sur la Somme, déjà peu garnies, sont évacuées à la hâte pour éviter d'être subjugées. Les habitants de nombreux villages français pris entre deux feux évacuent leurs demeures à la hâte en se mêlant aux blessés français et britanniques qui peuvent encore marcher. Une infirmière anglaise à Étain témoigne de la surprise et du désarroi lors des assauts allemands initiaux (clip ci-bas).

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Des artilleurs britanniques se replient en incendiant leur dépôt Les civils se replient pêle-mêle avec les soldats

Des obus conventionnels mais aussi des gaz toxiques – surtout lacrymogènes – sont balancés pour faire décrocher les soldats de l'Entente; ce qui permet aux attaquants de progresser derrière un rideau de gaz. Le nombre de soldats alliés aveuglés par les gaz se compte par milliers. Après les pilonnages, c'est le quasi-silence. La puissance du barrage et son caractère sélectif sur une grande surface décontenance les Alliés. Les unités allemandes lancées à l'assaut sont:

  • La 2ème Armée du général Von Marwitz.
  • La 7ème Armée du général Von Bulow.
  • La 18ème Armée du général Von Hutier, avec ses divisions de soldats d'assaut.
  • Les axes de l'offensive allemande de 1918 et les contre-attaques alliées

    L'attaque est lancée dans la brume matinale, ce qui permet aux Sturmtruppen de percer la première ligne de défense et d'infilter l'ennemi en profondeur. Ils neutralisent de nombreux nids de mitrailleuses et pavent la voie aux autres unités d'infanterie qui vont repousser les Brits de leur première ligne, tout en enfoncant même une partie de leur seconde ligne. Les Allemands avancent de 13 km de large sur 3 km de profondeur et ils prennent rapidement sept villages, dont Bullecourt et Louveral. Des unités britanniques se replient, incapables de tenir. Ils abandonnent souvent leurs blessés. Les soldats allemands occupent rapidement plusieurs réseaux de tranchées britanniques à peine défendues en mettant la main sur du ravitaillement abandonné par les Britanniques. Le capitaine Rudolf Binding est surpris par les succès initiaux des attaques allemandes tel qu'il l'écrit dans son carnet (clip ci-bas).

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    Les Allemands surpris par leur progression Soldats allemands dans une vieille tranchée britannique

    Les civils apeurés, eux, n'ont pas attendus que le ciel leur tombe sur la tête, et vont évacuer rapidement lesdits villages menacés d'attaque imminente. Ces mouvements de civils vont quelque peu gêner le déploiment des Brits du général Gough. Une atmosphère de pagaille gagne rapidement les forces britanniques. Les unités de tête de la 17ème Armée allemande percent le front britannique entre l'Omignon et La Fère. À midi, le 18ème Corps britannique est rejeté sur sa "battle line" au nord de St-Quentin. Une division d'infanterie britannique bousculée quelques heures plus tôt par les Sturmtruppen, est encerclée et détruite près de Moy. Durant les combats, les Allemands vont capturer et utiliser le plus grand nombre de mitrailleuses légères Chauchat et Lewis ennemies pour augmenter leur puissance de feu au niveau de la section d'infanterie.

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    La fuite des civils sur le front du général Gough Artilleurs français à l'action près de Carlepont

    Le 22, les Allemands reprennent leurs attaques avec leurs forces d'assaut comme la veille. Sur le front de la 3ème Armée de Byng, les Britanniques perdent peu à peu du terrain lorsque leur ligne frontale est percée. Sur celui de la 5ème Armée, les Britanniques sont de nouveau bousculés et se replient en désordre derrière leur "battle line". Une petite contre-attaque est lancée, mais elle échoue. De ce fait, c'est l'aile gauche de l'armée française qui se voit menacée d'être flanquée, surtout lorsque les Allemands prennent Tergnier. Des petites positions françaises éparpillées et très exposées subissent des tirs de mortiers. L'artillerie française fait ce qu'elle peu pour ralentir les progressions allemandes, mais sans aucun effet. Dans la nuit du 22 Mars, les rapports qui affluent au PC du général Haig sont tellement alarmants que ce dernier se voit obligé de demander des renforts à Pétain.

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    L'artillerie allemande accompagne les fantassins Une position française plutôt isolée

    Le 25 Mars, la 5ème Armée de Gough est obligée de se replier pour consolider son front, laissant derrière elle des redoutes et pillboxes qui feront des combats retardateurs avant d'être réduites au silence. Devant ce "trou" créé par le retrait de Gough, l'aile droite de Byng doit elle-aussi décrocher pour éviter d'être cisaillée et encerclée. Haig envisage d'abandonner sa tête de pont de Péronne pour se replier sur l'ancienne ligne de front de la Somme, celle de 1916. Il supplie Pétain que l'armée française relève les Brits sur 40 km de front au sud de Péronne – c'est-à-dire là où le front britannique a cédé. Pétain accepte de lui envoyer un groupe d'armées de réserve commandé par le général Fayolle, articulé autour de la 3ème Armée du général Humbert avec ses 15 divisions. Ces renforts vont littéralement sauver les Britanniques en prévenant le front allié d'un effondrement total.

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    Les Sturmtruppen neutralisent les défenses ennemies

    Les Allemands vont marquer des points durant tout le mois de Mars, mais des pépins commencent à être perceptibles. Le manque de sens stratégique de Ludendorff ne lui permet pas d'exploiter les gains faits par les soldats d'assaut et d'exploiter la brèche qu'il vient d'ouvrir entre les forces françaises et britanniques. Cependant, au grand dam de Ludendorff, la plus grande partie de la seconde ligne de défense – la "battle line" – tient le coup et elle va progressivement endiguer les assauts successifs des unités allemandes durant tout le mois de Mars. Pour faire bouger les choses, une attaque secondaire est lancée contre l'aile gauche britannique à Arras, mais sans succès. La deuxième ligne chancelle... Les Brits doivent décrocher de nouveau au sud de la Somme, non sans manifester leur tristesse: Il est déplorable et douloureux de retraiter de nouveau vers le sud en laissant les Allemands occuper nos "vieilles" positions de 1916, là où tant de nos camarades sont enterrés, écrit un officier. Pour combler la trouée, les renforts que Haig a demandé à Pétain, n'arrivent pas assez rapidement à son goût. Les insultes pleuvent entre eux aussi fortement que les obus. Ces disputes inter-alliées minent l'effort d'endiguement et conduisent la France et l'Angleterre à nommer un commandant en chef inter-allié, le maréchal Foch, pour superviser l'ensemble des opérations à l'Ouest.

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    Un Tommy avec sa mitrailleuse légère Lewis – Un groupe de fantassins allemands

    Foch est chanceux... Le 26, l'élan de l'offensive allemande commence déjà à s'essouffler, car il est difficile de faire suivre l'artillerie pour accompagner les progressions des fantassins. Les camions manquent pour traîner les obusiers qui, souvent, doivent ête hâlés à la main, comme à Passchendaele. L'acheminement des vivres et des munitions prend également du temps, car des petits groupes de soldats français et britanniques essaient de faire sauter les ponts enjambant les cours d'eau. Des échanges de tirs nourris d'armes légères les opposent aux Sturmtruppen. Le 30, les premières unité de réserve alliées sont envoyées à Amiens par le rail pour consolider les défenses de la deuxième ligne alliée. Quelques divisions allemandes essaient de prendre Amiens mais sans succès. A Londres, les journalistes et parlementaires s'inquiètent des progressions allemandes. Une partie de l'opinion publique accuse Lloyd George de ne pas avoir dépêché des renforts à temps; cette situation va fragiliser la position du premier ministre en Chambre. A Paris, l'Assemblée nationale panique devant l'ampleur des avancées allemandes. Le maire est inquiet et les députés apeurés hospillent parfois Clémenceau en le pressant d'agir. Ce dernier ne se laisse pas imposer ni par la députation et encore moins par la situation militaire. Clémenceau rappelle l'hémicycle à l'ordre en précisant clairement sa politique (clip ci-bas).

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    Clémenceau ne se laisse pas marcher dessus – Les renforts français promis par Pétain montent en ligne

    Les combats de fantassins sont durs dans les faubourgs de la ville, et les attaquants lâchent prise. Pour exprimer leur frustration, les Allemands pilonnent la ville avec leur artillerie. Ludendorff met fin à l'opération Michael le 5 Avril. Ses gains sont très modestes et ils les a faits en sacrifiant une partie de des soldats d'assaut. Amiens et Arras restent sous contrôle britannique. Le terrain conquis est à la fois difficle à défendre en cas de contre-attaque et peu propice à la poursuite d'une offensive rapide, car les camions et chevaux doivent traverser des zones soit trouées par les obus ou trop perméables pour supporter le matériel lourd.

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    Sturmtruppen sécurisant un ponceau – Unité de réserve allemandes à St-Quentin

    Durant ces combats relativement mobiles, les belligérants ont cumulé un grand nombre de blessés, soit environ 200,000, dont le tiers est évacué à l'arrière. Les Allemands ramènent 10,000 prisonniers derrière leurs lignes, tandis que les corps de 34,000 soldats gisent dans la boue neigeuse. Ludendorff n'est guère en meilleure posture. Il a perdu lui-aussi 180,000 blessés, dont la moitié fait prisonniers, 20,000 autres prisonniers, et 29,000 tués en cinq semaines d'opérations. Parmi les pertes, de nombreux régiments de Sturmtruppen – des pertes irremplacables en 1918. L'opération Michael a été un épisode à la fois violent et sanglant de cette offensive printanière allemande.

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    Deux autres phases de l'offensive – Quelques Tommies tués durant l'opération Michael

    Ludendorff a constaté que son attaque initiale (op.Michael) a permis de dégarnir des forces britanniques pour défendre Amiens, laissant la voie ferrée libre pour une attaque entre Hazebrouk, Calais, et Dunquerke. S'il parvient à fair passer ses forces, Ludendorff peut encore vaincre les forces alliées. Son attaque appelée opération Georgette députe le 9 Avril en neutralisant des forces portuguaises: 8300 tués et environ 12,000 prisonniers. Les soldats portugais survivants ont été envoyés èa l'arrière car ils sont devenus inutiles, parce qu'ils n'obtiennent plus de renforts de leur mère-patrie., Cependant, les unités britanniques parviennent à tenir leurs positions. Le lendemain, les Allemands parviennent à s'emparer d'une bande de territoire entre le nord de Ypres jusqu'à Bethune. Les Brits sont obligés d'évacuer Armentières pour éviter d'être encerclés. Le 11, deux divisions britanniques essaient de tenir les Allemands à bout de bras sur la rive sud de la Lys. Devant la percée allemande qui se profile, Haig est inquiet et comme les renforts français ne sont pas disponibles, il lance son "ordre du jour" qui n'est rien d'autre que de celui de "tenir jusqu'au dernier homme". Ils ont tenu. Mais il était moins cinq...

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    Mitrailleurs allemands devant Hazebrouk – D'autres Tommies tombés durant l'opération Georgette

    L'opération Georgette n'a pas réussie à tenir le terrain conquis parce que la logistique n'a pas suivie les combattants. Les unités allemandes impliquées ont commencées à manquer de tout. Les contre-attaques menées par les Britanniques, Français, Canadiens et Australiens ont endiguées et stoppées les Allemands. Les pertes en morts et blessés ont grimpées en flèche durant les 5 derniers jours de ladite opération. Les belligérants ont perdu environ 110,000 hommes chacun, dont environ 19,000 tués. Hazebrouk reste entre les mains des Brits, ce qui expose le saillant allemand à des coups de main. Notons que les Britanniques vont abandonner un secteur inutile autour d'Ypres qu'ils avaient conquis à fort prix en 1917 afin d'envoyer des unités menacer les Allemands autour de leur saillant.

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    Premiers Américains tués – Enclos de prisonniers allemands

    Avec l'abandon de l'opération Georgette, Ludendorff lance une nouvelle attaque sur les positions françaises avec toujours le même but: attirer le plus grand nombre d'unités possible loin des ports de la Manche. L'attaque, appelée Blucher-Yorck, débute le 27 Mai dans une zone située entre Soissons et Rheims. Ce secteur était défendu par 6 divisions britanniques au repos et par des unités de la 2ème Armée du général Duchêne qui s'obstine à ne pas établir une défense en profondeur. En conséquence, les Allemands n'ont pas eu de difficulté à percer ses lignes au très célèbre Chemin des Dames, et Duchêne perd plusieurs centaines d'hommes en une seule journée de combat. Ses unités sont mitraillées par des avions d'attaque au sol. Les ponts de l'Aisne sont capturés intacts. Malgré une résistance britannique sur les flancs de l'avance allemande, Ludendorff réussit à percer et prend Soissons dès le 28. Il croit que la route de Paris lui est ouverte. Cependant, les avant-gardes de Ludendorff sont arrêtées à la Marne le 30 Mai près de Château-Thierry par un régiment de tirailleurs sénégalais ainsi que par des soldats de l'US Army. Les Marines US échangent également des tirs dans le bois de Belleau. Encore une fois, les pertes sont nombreuses: 100,000 blessés et 37,000 tués pour les Alliés contre 120,000 blessés et prisonniers, ainsi que 10,000 tués pour les Allemands. Ludendorff arrête l'opération Blucher-Yorck le 5 Juin: il n'a plus les effectifs requis pour continuer son offensive.

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    Plusieurs villages sont dans un piteux état – Marines américains dans le bois de Belleau

    Chars au combat

    Durant l'opération Blucher-Yorck, les Français ne s'attendaient pas à être repoussés aussi facilement. Alors que l'infanterie française se repositionne sur la Marne le 29 Mai, les chars Renault se portent à la rencontre des Allemands deux jours plus tard. Ces engins font partie d'un premier régiment blindé français créé le 18 Mai. Ce sont majoritairement des chars Renault FT-17 produits en trois versions: la première, qui est armée d'une mitrailleuse; la seconde armée d'un petit canon de 37mm; et la troisième qui est en fait un véhicule de communication. Ces chars ont été adoptés par l'armée française à l'été 1917 à la suite d'une vive polémique quant au choix d'un modèle qui soit le meilleur compromis du moment entre la propulsion, la protection et l'armement. Pétain passe tout de go une commande de 3500 exemplaires, sans s'informer si la firme Renault peut en produire un aussi grand nombre dans un délai raisonnable. Une répartition de la production chez quatre sous-contractants permettra au général d'en obtenir livraison pour le début du mois de Mai. L'aspect du char Renault annonce celui des chars d'assaut à venir. Il est plus petit et compact que le St-Chamond et le Schneider avec leurs formes carrées – pour ne rien dire de la série des chars Mark britanniques. C'est le premier char muni d'une tourelle pivotante digne de ce nom. Elle est soit ronde ou octogonale et montée sur billes afin d'être pivotée par la simple pression du corps du tireur. Les chenilles sont montantes et débordent vers l'avant. Le caisson est composé de plaques de blindages solides et il est conçu pour loger deux équipiers: le chauffeur et le mitrailleur. La suspension est assurée par des ressorts à lames sur deux balanciers dont les extrémités portent sur quatre boggies munies de roues s'appuyant sur les rails de la chemille. Ce système assure une pression uniforme répartie sur chaque galet de roulement. Le but recherché est un engin qui soit le plus léger possible et capable d'agir partout où va l'infanterie. Il se doit être plus facile à produire rapidement. Les Américains se montrent intéressés par le char Renault, et ils en équiperont également leurs premières unités blindées.

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    Le Renault version mitrailleur — Le Renault muni d'un petit canon

    Le 27 Mai, une trentaine de chars Renault appuient une progression d'infanterie sur le plateau de Dommiers en direction de Soissons. Ils se lancent à l'attaque sans aucune préparation d'artillerie ni protection aérienne. Les chars sont repérés à découvert par des avions allemands qui essaient d'aiguiller des tirs d'artillerie sur eux, sans succès. Quelques chars commandés par le lieutenant Demay neutralise un pillbox allemand près de la ferme de Courmeilles. Durant les échanges de tirs, le tank de Demay est détruit et ce dernier est tué. Une trouée permet aux autres chars de progresser dans des champs, malgré les tirs de mitrailleuses ennemies – bien au-delà des fantassins marocains. D'autres nids de mitrailleuses sont détruits près de la forêt du Retz. Fait à noter, les chars Renault restent maîtres du terrain en attendant leur infanterie; leurs armes surveillant sans cesse le périmètre qu'ils ont dégagé. Là où ça se corse, c'est lorsque les chars doivent affronter des canons antichars. Durant l'assaut pré-cité, les Renaults sont la cible de telles pièces, et s'en tirer vivant est une affaire de chance. Il s'agit, pour le servant, de repérer la pièce antichar et de la neutraliser avant qu'elle n'ouvre le feu sur le char. Les Renaults avancent souvent en zig-zag pour compliquer la tâche des pointeurs ennemis. Lorsque le péril antichar s'évanouit, l'infanterie peut progresser derrière les chars pour continuer ses attaques. Le char s'est imposé: il est devenu une arme de terrain

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    Présentation récente d'un Renault à Saumur – Le canon antichar a souvent le dessus sur le char

    Ainsi, les chars Renault et les fantassins marocains ont réussi à déloger les Allemands en neutralisant leurs positions sur 2 km, retardant ainsi une contre-attaque ennemie qu'ils ne pouvaient repousser à eux-seuls. Cependant, cette action combinée du char et de l'infanterie a permis de gagner un temps précieux qui a permis de regrouper des troupes fraîches.

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    Chars Renault FT-17 se préparant pour une attaque - Les Allemands se rendent en masse

    Le dernier acte de cette tragédie sanglante que fut l'offensive du printemps 1918 a été l'opération Gneisenau, ordonnée presqu'à contrecoeur par Ludendorff, toujours avec pour objectif de leurrer les troupes alliées loin des ports français de la Manche. Mais la recette est connue, et les Alliés ne bronchent pas. Il s'agissait de lier les deux petits saillants allemands créés sur la Somme et la Marne. Les Français avaient été avertis des intentions allemandes par le biais de leurs très nombreux prisonniers qu'ils gardent en enclos. Ce faisant, ils ont eu le temps d'établir une défense en profondeur près de Compiègnes et d'arrêter l'attaque ennemie lancée le 9 Juin. Deux armées allemandes affrontent deux armées françaises avec un appui américain. Les Allemands bousculent un peu les Français sur la Somme, mais sont stoppés sur la Marne. Une contre-attaque française est lancée le 11 Juin, et Ludendorff fit cesser l'opération. Son offensive printanière est arrêtée.

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    Le bilan

    Le Kaiserschlacht a permis aux Allemands de conquérir quelques bandes de territoire aux dépends des Alliés et, objectivement, de gagner du temps pour ce qui s'annonce être une guerre perdue. Le but stratégique de vaincre rapidement les alliés de l'Entente s'est définitivement évanoui. Toutes les unités de l'armée allemande sur le front occidental avaient un déficit chronique de soldats entraînés, et il a perdu les 2/3 de ses Sturmtruppen. Le Haut-commandement constate que les réserves sont épuisées. Seulement 300,000 nouvelles recrues sont à l'entraînement pour 1918-19. Les Alliés, contre toute attente, ont été eux-aussi saignés mais leurs unités tiennent bon. L'organisation d'un commandement unique a certainement contribué à réduire le taux de perte et de coordonner leurs mouvements. La présence de l'US Army a contrebalancé les pertes subies depuis le 21 Mars par la France et l'Angleterre. Les offensives et contre-offensives belligérantes du front de l'Ouest en 1918 ont certainement été les plus coûteuses en pertes humaines depuis l'été-automne de 1914.

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